Comment détecter rapidement la ou les startups technologiques innovantes pertinentes avec lesquelles s’engager et collaborer pour innover ? Comment évaluer d’une part l’adéquation entre le besoin de l’entreprise et la solution proposée par la startup, et d’autre part la capacité de la grande entreprise et de la startup à se comprendre mutuellement pour augmenter les chances de succès de leur collaboration sur le long terme ? Cet article propose d’apporter des éléments de réponses en abordant ces questions de façon processuelle et holistique.
Les différentes phases (Amont, Design, Processus) de la collaboration pour innover entre startups et grands groupes avaient été abordées dans un précédent article qui mettait en exergue l’importance de la préparation de la collaboration (phase Amont).
En savoir plus : Collaborer efficacement avec une startup : l’anticipation, clé du succès
Le sourcing de startups est une étape cruciale pour ce type d’alliance créatrice de haute valeur ajoutée pour les partenaires. Il commence en amont de la collaboration et s’achève avec l’engagement effectif des partenaires dans le projet commun (phase de Design). Cependant, l’efficacité in fine du sourcing réalisé ne se vérifiera qu’a posteriori par le succès (ou non) de la collaboration, c’est-à-dire à l’issue des interactions, ajustements et moyens ad hoc mis en œuvre pour parvenir à l’objectif visé par les partenaires [1]. Parce que le succès du partenariat dépendra en grande partie de facteurs propres à la réalité, culturelle notamment, de chacun des acteurs, l’étape d’identification des startups pertinentes devrait être reliée au projet de collaboration dans son ensemble, dès le départ, et abordée dans toute sa complexité au sens d’Edgar Morin [2]. |
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Cette approche suppose de considérer, lors du processus d’identification et de sélection de startups, non seulement les dimensions tangibles (pertinence de la solution innovante, maturité de la technologie, risques financiers et opérationnels, etc.) habituellement mises en exergue, mais également des dimensions plus intangibles, qui sont propres à l’évolution de la relation sur le long terme et au niveau de proximité entre les partenaires (voir point : « Evaluer la future collaboration : la recherche d’un équilibre entre proximité et distance »). En outre, la prise en compte de ces dimensions invite à un questionnement régulier des parties prenantes sur le devenir de leur collaboration et donc sur les éventuels ajustements à opérer pour augmenter ses chances de succès.
Il est essentiel pour l’entreprise, avant toute recherche de startups, de faire émerger le ou les problèmes qui se posent et de définir ses besoins en matière d’innovation, que ceux-ci concernent la transformation de ses propres processus dans un but d’accroissement de la performance interne par exemple, ou bien l’évolution de son offre de produits et/ou services afin de gagner en compétitivité, en particulier lorsque l’entreprise évolue sur un marché très fortement concurrencé. Cela implique que l’entreprise ait identifié une opportunité dans son environnement et qu’elle envisage de la saisir.
Le manque de définition de son besoin en amont par la grande entreprise est un point soulevé par des startups qui y ont été confrontées, et s’avère être un frein majeur à la collaboration. Définir les besoins et leur priorisation ne peut être réalisé que par les différents acteurs de l’entreprise, avec le soutien d’un tiers expert idéalement. Et cela prend du temps. Si les startups peuvent être amenées à co-créer des solutions innovantes en partenariat avec de grandes entreprises, elles ne peuvent le faire qu’à partir de besoins déjà identifiés au préalable, en amont de la collaboration.
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Pour circonscrire les problèmes à résoudre et faire émerger les besoins, il est judicieux de consulter les parties prenantes clés : il s’agit d’une part des collaborateurs de l’entreprise qui ont une compréhension fine par l’expérience des difficultés métiers, et, lorsque le besoin concerne l’offre de l’entreprise, des clients, en particulier les lead users, et des prospects. |
D’autre part, l’entreprise peut avoir recours à un expert externe disposant de connaissances technologiques avérées (voir point suivant « Identifier des startups pertinentes au regard de son besoin »). Une autre possibilité pour l’entreprise est d’intégrer un club d’innovation ouverte si l’écosystème en possède, afin notamment d’échanger autour des meilleures pratiques avec d’autres entreprises rencontrant des problématiques similaires. Que ce soit pour satisfaire la demande de ses clients ou pour augmenter ses propres performances en interne, c’est la définition du problème, des besoins en innovation et des objectifs de l’entreprise, le pourquoi, qui orientera ensuite la recherche de startups dans une direction ou une autre.
Si elle dispose des ressources expertes et du temps pour le faire, l'entreprise peut se charger elle-même de rechercher des startups pertinentes. Dans le cas contraire, ou en complément d’une recherche directe par l’entreprise, il est judicieux pour elle de se rapprocher d’intermédiaires de l’innovation évoluant dans son écosystème [3], notamment de ceux qui disposent de bases de données de solutions technologiques innovantes proposées par des startups, à l’échelle locale et mondiale.
Ce sont en particulier les incubateurs, les accélérateurs de startups, les pôles de compétitivité, les agences de consulting spécialisées dans le management du digital [3]-[5], ou encore les plateformes et les programmes d’open innovation dédiés à la collaboration inter-organisationnelle orientée innovation, en ligne ou hors ligne (rencontres physiques entre startups et grands groupes, notamment). Les intermédiaires de l’innovation, qui interviennent durant les phases Amont et de Design de la collaboration, permettent à l’entreprise de gagner un temps précieux, d’obtenir de l’information qualifiée sur les solutions technologiques proposées par les startups et pertinentes au regard de ses besoins spécifiques, de bénéficier d’une mise en relation avec ces startups et ainsi d’amorcer des collaborations potentiellement fructueuses. |
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Au début de la relation, ces intermédiaires peuvent également jouer un rôle d’interface médiatrice entre l’entreprise et la startup et représentent en ce sens une source essentielle dans la recherche de conseils et de ressources [5]. Toutefois, si un sourcing faisant appel aux interlocuteurs-clés de l’écosystème peut permettre de trouver la startup pertinente pour l’entreprise, il n’est pour autant pas gage du succès in fine de la collaboration. En effet, dans la mesure où la décision de collaborer s’effectue dans les deux sens, autant du côté de l’entreprise que de celui de la startup, il est utile de s’intéresser à la façon dont il est possible d’évaluer la compatibilité de ces parties prenantes dans le temps.
Lorsque les startups technologiques répondant au besoin de l’entreprise ont été identifiées, comment retenir celle avec qui le projet de collaboration aura le plus de chances de connaître le succès ? En plus des outils de scoring habituels permettant d’évaluer les risques sur la base de critères tangibles tels que l’adéquation de la solution innovante au besoin ou encore la maturité de la technologie, par exemple, l’utilisation de critères fondés sur la proximité [6] peut permettre d’augurer, autant que faire se peut, la qualité de la collaboration dans le temps, c’est-à-dire jusqu’à la réalisation de l’objectif partagé par les parties prenantes, marquant la fin du projet. Ce « scoring de compatibilité », complémentaire au premier, fait intervenir des dimensions essentielles à la réussite de la collaboration, bien qu’intangibles pour la plupart d’entre elles.
Lorsque l’on évoque la notion de proximité, il est généralement fait référence à la proximité géographique. Or, d’autres formes de proximité, non-géographiques, méritent d’être prises en compte dans l’évaluation des collaborations, en particulier : les formes de proximité cognitive, sociale et organisationnelle, dont voici les principaux critères d’évaluation [1], [7] :
La proximité cognitive entre deux parties prenantes comprend les valeurs communes, les buts partagés, la culture partagée, ainsi que les connaissances technologiques communes. Si un niveau élevé de proximité cognitive est crucial pour la compréhension mutuelle des acteurs et que leurs connaissances technologiques devraient comporter un socle commun, nécessaire pour se comprendre, les partenaires devraient également disposer de connaissances technologiques complémentaires, dans la mesure où celles qui sont déployées par la startup sont généralement la raison d’être du rapprochement stratégique startup – grande entreprise : cette dernière recherche auprès de la startup des solutions innovantes, des compétences technologiques qu’elle ne possède pas en interne.
La proximité sociale inclut les relations interindividuelles entre des collaborateurs clés de la startup et de l’entreprise impliquant confiance, liens amicaux, sociaux, ou professionnels. Un article de recherche récent a montré qu’un niveau de proximité sociale élevé aux phases Amont, Design et Process de la collaboration a un effet positif sur son succès [7].
La proximité organisationnelle est représentée par les mécanismes de coordination et de contrôle (en particulier, le degré d’autonomie donné aux acteurs de la collaboration en matière de prise de décision et d’action), les moyens et la fréquence d’échange et de transfert des informations et connaissances via une interface humaine dédiée ou bien de façon électronique (proximité électronique, [8]).
Références
[1] C. Bertin, “Proximity and organizational factors for startup - large firm collaboration in an open innovation context,” Innovations - Journal of Innovation Economics & Management, vol. 58, no. 1, pp. 135–160, 2019.
[2] E. Morin, “La stratégie de reliance pour l’intelligence de la complexité,” Revue Internationale de Systémique, vol. 09, no. 2, pp. 105–112, 1995.
[3] C. Bertin and V. Schaeffer, “Local Ecosystem Open Innovation Intermediaries as Key Enablers for the Development of Incumbents’ Digital Technology Partnerships,” in Proceedings of the IEEE 28th International Conference on Engineering, Technology and Innovation (ICE/ITMC) & 31st International Association for Management of Technology (IAMOT) Joint Conference, June 2022 (à paraître).
[4] C. Bertin and V. Schaeffer, “Organizational impact of digital open innovation in retail banks: Managing external and internal pressure,” in Managing Digital Open Innovation. Book Series “Open Innovation: Bridging Theory and Practice,” World Scientific Publishing, pp. 297–322, 2020.
[5] J. Howells, “Intermediation and the role of intermediaries in innovation,” Research Policy, vol. 35, no. 5, pp. 715–728, 2006.
[6] R. A. Boschma, “Proximity and innovation: A critical assessment,” Regional Studies, vol. 39, no. 1, pp. 61–74, 2005.
[7] C. Bertin and H. Mavoori, “Innovative Technology-Based Startup–Large Firm Collaborations: Influence of Human and Social Capital on Engagement and Success,” IEEE Transactions on Engineering Management, Special issue "Co-design and Collaborative Innovation for Grand Challenges", 2022.
[8] T. Loilier and A. Tellier, “La configuration des réseaux d’innovation: une approche par la proximité des acteurs,” Revue d’Économie Régionale & Urbaine, no. 4, pp. 559–580, 2001.