J’ai une confession à vous faire : J’ai un petit quelque chose pour le journalisme d’investigation. Je parle du genre de journalisme qui inspire des scripts comme “Spotlight”, qui lancent le mouvement #MeToo, ou qui nous confronte à l’inconfortable (mais fascinante!) vérité à propos du monde de l’art. J’y suis attiré parce que c’est un journalisme dense, direct, factuel, persuasif, et cela force le changement.
Récemment, j’ai découvert l’équivalent académique de ce type de reportage. Appellons-les “Recherches d’investigation”. Cette recherche creuse au coeur des concepts clés des sciences sociales et humaines. Elle permet une traçabilité de leur évolution mais aussi de pouvoir critiquer leur utilisation (parfois) opportuniste.
Un article de recherche d’investigation qui a récemment capté mon attention se penche sur une théorie qui beaucoup connaissent en management, la Pyramide des Besoins de Maslow. Publiée en 1943 par le psychologue américain Abraham Maslom, “Théorie de la Motivation Humaine”, et avec elle, la “hiérarchie des besoins”, aussi connu sous le nom de la “Pyramide de Maslow”, qui est à ce jour toujours aussi référencée. En effet, à ce jour encore vous trouverez cette théorie mentionnée dans diverses présentations, livres et CV, et ce de partout dans le monde.
La Pyramide de Maslow est devenue un “meme” en management (une image transmise de manière virale sur les réseaux, présentant un élément culturel ou un symbole). Elle a été utilisée pour établir des hiérarchies pour tous types de besoins, les besoins d’athlètes par exemple, ou les besoins de DevOps, comme ceux des clients, et mêmes les éléments de value approach.
Fun fact: La pyramide de Maslow a sa propre catégorie sur KnowYourMeme.com
Même si elle continue d’inspirer de nouvelles et diverses pratiques, on ne peut s’empêcher de se demander si la pyramide de Maslow s’est diffusée de la manière dont celui-ci le souhaitait. Et même si ce n’est pas le cas, est-ce réellement important ?
Abraham Maslow continue d'inspirer. Source: Sara Lazarovic
L’idée que les besoins humains sont rangés dans un ordre préétabli (de basique à physiologique ainsi que les besoins de sécurité), et qu’ils doivent être satisfaits un par un dans cet ordre précis, fait tellement sens qu’elle est difficilement contestable. Mais, et si cette idée était trop simpliste ? Et si son fondateur n’avait jamais exprimé la nécessité (ou l’adéquation) d’une hiérarchie ? Ou la possibilité de n’exprimer qu’un seul besoin à la fois ?
Cette question, et plus encore, repose au cœur d’un brillant essai intitulé “Who Built Maslow’s Pyramid? A History of the Creation of Management Studies’ Most Famous Symbol and Its Implications for Management Education” (Qui a construit la pyramide de Maslow ? L’histoire de la creation du plus célèbre symbole en étude du management et ses implications en éducation managériale) par Todd Bridgman, Stephen Cummings et John Ballard. J’ai compilé ci-dessous les résultats clés de cet essai.
Pendant que la théorie de la hiérarchie des besoins de Maslow est toujours extrêmement répandue, plusieurs sources mentionnent son origine ou comment la pensée de Maslow a évolué.
Par exemple, un fait plus ignoré du grand public est que Maslow a commencé sa carrière en étudiant le comportement des primates. Ce sont ces études qui lui ont permis de décrocher une bourse et un poste d’assistant à l’université de Columbia entre 1935 et 1937. Cela lui a permis plus tard de poursuivre cette direction, au Brooklyn College de New York.
La réelle révélation, ceci étant, date de 1941. Alors que le monde se prépare à la deuxième guerre mondiale, Maslow pensa de plus en plus à une théorie de psychologie qui parlerait à tous les potentiels humains qui l’entendraient. Qu’est-ce qui fait de nous des humains ? Alors que les besoins basiques, physiologiques (nourriture, oxygène, eau, abri) sont forts, dès qu’une personne les as satisfaits, les autres besoins suivent. A travers le temps, la sécurité, l’amour, l’appartenance, l’estime et la réalisation de soi deviennent des priorités aussi. D’où l’échelle, l’échelle des besoins humains.
Alors que l’échelle était un concept intéressant, son évolution d’hypothèse obscure jusqu’à monument du management ne s’est pas faite d’elle-même. En réalité, cela s’est passé à travers l’intérêt de tiers quant au travail de Maslow.
Un des premiers adeptes des idées de Maslow se prénommait Douglas McGregor, professeur en management au MIT Sloan School of Management. McGregor avait pris connaissance du travail de Maslow, puis l’avait utilisé pour développer la Théorie X et la Théorie Y (la fameuse distinction entre les styles de management). Il publia ses idées en 1960 dans son livre intitulé « The Human Side of Enterprise » (Le côté humain de l’entreprise). Selon ses archives, McGregor avait au départ inclus la théorie de Maslow dans une missive transmise au MIT. Alors que McGregor avait mentionné qu’il généralisait les idées de Maslow, la réimpression avait coupé cette information. Ainsi, la théorie sur ce qui motivait les personnes au travail, malgré la version modifiée, commença à se répandre.
Physics theories can become memes, too! Source: James Clear
Alors que Maslow se rendit compte qu’une interprétation légèrement biaisée de sa théorie commençait à se répandre, il tenta de corriger les écarts. Ses efforts firent naître la Théorie Z, qui tendait à expliquer qu’une fois un individu est en situation de sécurité économique, l’individu en question se mettrait en recherche d’un travail productif qui pourrait satisfaire ses besoins plus élevés, superficiels. Cette théorie a flouté la frontière entre la vie professionnelle et personnelle et a été le point de départ à une quantité non-négligeable d’initiatives qui sont aujourd’hui appliquées sur le lieu de travail. Malheureusement, Maslow sera enterré avant de pouvoir finir la Théorie Z.
Une autre figure proéminente de cette histoire était Keith Davis, l’ancien président de l’Academy of Management, qui publia une représentation triangulaire de la Théorie de Maslow dans « Human Relations in Business » (Les relations humaines dans le commerce).
Inspiré par son précédent, Charles McDermid, un consultant en psychologie, proposa une version modifiée de la théorie de Maslow (cette fois-ci en forme de pyramide) dans un article intitulé « How Money Motivates Men » (Comment l’argent motive les hommes). Cet article, publié dans les années 60 était destiné aux managers, pour les aider à motiver les employés. Cette représentation « facile à mémoriser, facile à appliquer » devint ce que l’on appelle aujourd’hui la « Pyramide de Maslow ».
Le reste, comme on dit, appartient à l’histoire. Tout comme la prolifération du Business Model Canvas aujourd’hui, la pyramide devint rapidement omniprésente. En moins de temps qu’il n’en fallait pour la théoriser, la Pyramide de Maslow avait envahi les livres de management et les salles de réunion, bien plus que Maslow n’aurait jamais osé l’imaginer. Et la Pyramide est aussi devenue un meme.
Jusqu’ici, il apparaît clairement que la pyramide au sens de Maslow a été créée sur une conception biaisée de son concept. Mais est-ce important ? Et si ça l’est, que pourrions-nous faire pour honorer les réelles intentions de son créateur ?
En résumé, et en accord avec les essais de l’auteur, oui. C’est important, car la manière de laquelle nous enseignons et appliquons la hiérarchie des besoins aujourd’hui est défectueuse en héritage. Corriger ces erreurs de parcours, ceci étant, ne ferait pas justice seulement à Maslow, mais aussi à de meilleures pratiques du management.
1. Satisfaire un seul besoin à la fois
En premier, la hiérarchie des besoins semble indiquer à ce jour que la motivation opère seulement en satisfaisant un seul besoin à la fois. Maslow n’a jamais couvé cette vision. Au contraire, Maslow prenait en compte la complexité de l’humain et de son comportement.
2. Ne pas factoriser les différences culturelles
Ensuite, la pyramide (hiérarchie) actuelle se présente comme applicable universellement. Ceci étant, nous pouvons noter une négligence des différences culturelles. Par exemple, la réalisation de soi n’est pas un besoin de la même importance dans toutes les régions du monde. Selon les archives, Maslow lui-même voyait quelques exceptions dans ses études, et ne s’est pas contenté de faire profil bas. Il mettait par exemple en valeurs les individus pour qui l’amour était plus important que la réalisation de soi.
3. Modifier les étiquettes modernes
Troisièmement, nous avons modifiés de quelques concepts modernes des besoins humains. Par exemple, Maslow avait d’abord inclus l’amour et le sentiment d’appartenance, qui deviendront plus tard les « besoins sociaux », plus pertinent avec la pensée managériale prévalente.
Prendre en compte ces problèmes, disséquer la hiérarchie des besoins, était à l’origine faisable de deux manières. Tout d’abord, les managers et autres académiques doivent s’informer des altérations de la théorie originale. Dans un second temps, la pyramide devrait prendre sa retraite. Plus facile à dire qu’à faire.
Tout comme le re-branding d’un logo, réinventer la pyramide de Maslow avec une forme différente est un exercice difficile, mais pas impossible. Vous voyez, la pyramide a fait surface à une époque ou les managers académiques eux-mêmes avaient du mal à se positionner en experts. C’était aussi un symbole qui résonnait (et résonne toujours) avec une organisation hiérarchique très implantée dans les esprits. Et donc, elle est restée.
Comme plus de modèles de management et de leaderships deviennent flexibles, et que la collaboration devient un pilier de l’entreprise, la pyramide devient une figure moins représentative des besoins humains et de leur importance relative.
Si nous faisons le parallèle avec l’open innovation par exemple, les aspects culturels ne peuvent plus importants que les processus ou les structures, de la même manière que les besoins humains ne peuvent être classés. Dans les deux cas, la hiérarchie devra être profondément contextuelle. Donc, au lieu d’analyser et d’améliorer les capacités et les besoins isolés, ils doivent être analysés comme un tout, un ensemble.
Alors que la pyramide s’insérait parfaitement dans le contexte des années 70 et 80, le management de nos jours aurait bien besoin de nouvelles guidelines pour exploiter la pyramide des besoins. En se concentrant sur la forme de la pyramide, et non sur son essence, les prêcheurs de cette théorie passent à côté de l’essentiel. Ils peuvent penser que les catégories de besoins sont mutuellement exclusives, qu’elles fonctionnent dans toutes les cultures, et que les personnes s’efforcent à répondre à leurs besoins un par un. Et aucune interprétation n’est plus éloignée de la vérité. Je fais confiance à Maslow là-dessus.
La pyramide de Maslow (mise-à-jour). Source: whatsthepoint
Note de la rédaction : cet article a été initialement publié en anglais, le 1 août 2018, et a été traduit, remanié et mis à jour pour en assurer l'exactitude et l'exhaustivité.